(Tribune publiée sur le site achatpublic.info le 26 janvier 2023)
Afin de clarifier la responsabilité du maître d’œuvre quant à son engagement sur le coût des travaux, le Code de la commande publique (CCP) a été modifié par le décret 2022-1683 du 28 décembre 2022 portant diverses modifications du code de la commande publique.
Dépassement du coût prévisionnel des travaux à l’issue des études
Dans le cadre de la mission « assistance pour la passation des marchés publics de travaux » (ACT), l’article R.2432-3 du CCP impose que le maître d’œuvre s’engage sur le coût prévisionnel des travaux, arrêté en principe à l’issue des études de projet (CCP, art. R.2431-27), majoré d’un taux de tolérance.
A défaut de taux défini dans les pièces particulières du marché de maîtrise d’œuvre, l’article 13.2 du CCAG MOE fixe ce taux de tolérance à :
- 5 % pour le neuf ;
- 10 % en réhabilitation.
A titre d’exemple, si le coût prévisionnel de travaux neufs est arrêté à 500 000 € HT, compte tenu de la tolérance de 5 % (+ 25 000 € HT), le maître d’œuvre s’engage à ce que le coût des travaux résultant de l’attribution des marchés de travaux n’excède pas 525 000 € HT.
Antérieurement à sa modification par le décret du 28 décembre 2022, le dernier alinéa de l’article R.2432-3 du code disposait qu’ « en cas de dépassement du seuil de tolérance, le maître d’ouvrage peut demander au maître d’œuvre d’adapter ses études, sans rémunération supplémentaire ».
Certains maîtres d’ouvrages avaient alors, semble-t-il, tendance à exiger la reprise gratuite des études dès lors que le seuil de tolérance n’était pas respecté, sans tenir compte des motifs de ce dépassement. De sorte que le maître d’œuvre pouvait être sanctionné pour un dépassement qui ne relevait pas pour autant de manquements de sa part.
Par conséquent, l’article 3 du décret a utilement précisé que le maître d’ouvrage peut, certes, exiger la reprise gratuite des études de conception en cas de dépassement du coût prévisionnel toléré des travaux, sauf si ce coût excessif résulte de circonstances que le maître d’œuvre ne pouvait pas prévoir.
C’est ce que traduit la nouvelle formulation, quelque peu absconse, du dernier alinéa de l’article R.2432-3 : « En cas de dépassement du seuil de tolérance ne résultant pas de circonstances que le maître d’œuvre ne pouvait prévoir, le maître d’ouvrage peut lui demander d’adapter ses études, sans rémunération supplémentaire ».
Le cas échéant, la charge de la preuve que le dépassement ne pouvait pas être prévu incombera au maître d’œuvre. Quelques échanges et débats sont à prévoir…
Dépassement du coût des travaux au regard des marchés de travaux attribués
Limitation apparente de la responsabilité du maître d’œuvre aux manquements commis pendant la mission DET et les opérations de réception
Lorsque le maître d’œuvre est par ailleurs responsable de la mission « direction de l’exécution des marchés publics de travaux » (DET) sur le même projet, l’article R.2432-4 du CCP lui assigne un nouvel engagement sur le coût des travaux résultant des marchés attribués aux entreprises, lui-même assorti d’un taux de tolérance.
Le taux supplétif résultant de l’article 13.2 du CCAG MOE est de :
- 3 % pour les constructions neuves ;
- 5 % pour les travaux de réhabilitation.
Lorsque le maître d’œuvre n’honore pas cet engagement et que le coût des travaux révélé par le montant du décompte général définitif excède le montant toléré, une pénalité égale à 15 % maximum du montant des honoraires relatifs aux missions qui suivent l’assistance à la passation des marchés de travaux (DET, VISA/EXE, AOR) peut lui être appliquée, si le marché de maîtrise d’œuvre l’a prévue !
Là encore, afin de limiter la sanction du maître d’œuvre à l’hypothèse où le dérapage du coût final des travaux lui est imputable, l’article 3 du décret du 28 décembre 2022 a précisé l’article R.2432-4 du Code : la pénalité en cas de dépassement du seuil de tolérance ne peut lui être appliquée que si le dépassement du seuil de tolérance résulte « d’un manquement du maître d’œuvre dans ses missions de direction de l’exécution des marchés publics de travaux et d’assistance au maître d’ouvrage lors des opérations de réception ».
Cette volonté louable de ne pénaliser le maître d’œuvre que de ses propres carences, pourrait bien avoir un effet inattendu et, espérons-le, involontaire.
Quid des manquements du maître d’œuvre à l’occasion de l’exécution de ses autres missions… ?
En effet, le dépassement du seuil de tolérance sur le coût définitif des travaux peut certes être provoqué par une ou plusieurs défaillances du maître d’œuvre pendant le suivi du chantier ou lors des opérations réception des travaux.
Mais la dérive du coût de l’ouvrage peut également résulter d’erreurs ou d’omissions commises par le maître d’œuvre à l’occasion d’autres missions qui lui incombent, et que l’article R.2431-1 du CCP distingue de la mission DET et des opérations de réception (les seules expressément visées par le nouvel article R.2432-4) :
- études de conception (études préliminaires, diagnostic, esquisses, APS, APD, PRO) ;
- études d’exécution ou vérification de leur conformité et leur visa lorsqu’elles sont établies par les entreprises chargées des travaux (EXE/VISA) ;
- ordonnancement, pilotage et coordination du chantier (OPC) ;
- assistance du maître d’ouvrage pendant la période de garantie de parfait achèvement.
La nouvelle formulation de l’article R.2432-4 du Code (qui semble limiter la responsabilité du maître d’œuvre aux seuls manquement qu’il commettrait à l’occasion de la direction des travaux et pendant les opérations de réception) permet-elle au maître d’ouvrage d’appliquer la pénalité prévue si le dépassement du seuil de tolérance sur le coût définitif des travaux est provoqué par des erreurs de conception de l’ouvrage, ou des manquements commis au titre des missions EXE/VISA, OPC ou encore pendant la période de parfait achèvement ?
Des précisions de la DAJ de Bercy sur la portée de cette modification de l’article R.2432-4 du CCP pourraient être opportunes…
Arnaud LATRECHE – 26 janvier 2023