(Tribune publiée sur le site achatpublic.info le 6 juin 2023)
Cas très fréquent, deux consultations portant sur deux marchés distincts (X et Y) lancées par le même acheteur sont assorties de la même date limite de remise des offres.
L’offre électronique d’une entreprise pour le marché X est déposée par erreur dans le « tiroir numérique » du profil d’acheteur correspondant au marché Y.
Cette offre de l’entreprise pour le marché X n’ayant pas été prise en considération par l’acheteur au titre de la consultation portant ce marché X, elle obtient du tribunal administratif d’Amiens l’annulation de la procédure au stade de l’examen des candidatures et l’analyse des offres.
Faisant preuve d’une certaine souplesse, le tribunal considéra en effet que les dates limites de remises des candidatures et des offres pour ces deux consultations étaient identiques, qu’aucun doute n’était possible quant au fait que l’offre transmise correspondait au marché X et que la prise en compte de cette offre n’impliquait aucune contrainte particulière pour l’acheteur. Il est dès lors reproché à l’acheteur d’avoir méconnu ses obligations de mise en concurrence.
Par une décision n° 469127 du 1er juin 2023 (mentionnée dans les tables du Lebon), le Conseil d’Etat censure le raisonnement de tribunal au motif qu’« aucune disposition ni aucun principe n’impose au pouvoir adjudicateur d’informer un candidat que son offre a été déposée dans le cadre d’une autre consultation que celle à laquelle il voulait postuler et, d’autre part, il ne peut rectifier de lui-même l’erreur de dépôt ainsi commise, sauf dans l’hypothèse où il serait établi que cette erreur résulterait d’un dysfonctionnement de la plateforme de l’acheteur public. »
Cette décision peut sembler particulièrement sévère pour les entreprises dans la mesure où, selon toute vraisemblance, il ne s’agit là que d’une erreur purement matérielle. Toutefois, quand bien même les dates limites de remise des offres pour des consultations distinctes seraient identiques, l’acheteur n’est pas tenu d’ouvrir simultanément les offres déposées pour celles-ci et d’attribuer les marchés correspondant concomitamment. Ainsi, l’acheteur pourrait découvrir qu’une offre pour un marché X a été déposée par erreur pour la consultation relative à un marché Y, après avoir attribué voire notifié le marché X. Poser une obligation de régularisation dans ce cas pourrait être susceptible de remettre en cause le choix de l’attributaire ou du titulaire du marché X. On perçoit dès lors les conséquences auxquelles l’acheteur devrait alors faire face.
Malgré tout, l’acheteur bienveillant qui découvrirait cette erreur de « tiroir » après la dead line pourrait-il offrir à l’entreprise une possibilité de régularisation, ou doit-il inexorablement considérer que l’offre pour la consultation X déposée dans le tiroir numérique de la consultation Y révèle une absence d’offre pour la consultation X (et constitue une offre inappropriée pour la consultation Y) ?
Le Conseil d’Etat ne semble pas fermer la porte à une possible tentative de régularisation. Il juge en effet, que l’acheteur « ne peut rectifier de lui-même l’erreur de dépôt ainsi commise » (sauf lorsque cette erreur est provoquée par une défaillance de la plateforme). Cette formulation laisse entendre qu’une demande de régularisation pourrait alors être adressée à l’entreprise.
A ce titre, l’acheteur, pourrait-il inviter l’entreprise dont l’offre pour la consultation X a été déposée dans le tiroir numérique de la consultation Y, à confirmer que cette offre doit être regardée comme étant déposée en réalité pour la consultation X ? Une réponse positive de l’entreprise suffirait-elle à purger l’erreur de dépôt ?
Une fois encore, face à ces incertitudes, il n’est pas certain que les acheteurs empruntent la voie de la mansuétude.
Arnaud LATRECHE – 05 juin 2023