(Tribune publiée sur achatpublic.info le 14 décembre 2023)
Avant l’heure ce n’est pas l’heure, après l’heure…ce n’est pas trop tard !
Les articles L.2141-1 à L.2141-5 du Code de la commande publique définissent des situations devant entraîner l’exclusion des opérateurs se trouvant dans l’une ou l’autre de celles-ci. Ces articles débutent par une formulation identique : « Sont exclues de la procédure de passation des marchés les personnes qui […] ».
L’article R.2144-4 du même code dispose que « seul le candidat auquel il est envisagé d’attribuer les marché » est tenu de justifier qu’il n’entre dans aucun de ces cas d’exclusions en produisant les moyens de preuves définis à cette fin par les articles R.2143-6 à R.2143-10.
Selon l’article R.2144-7, si un candidat ne peut produire dans le délai imparti par l’acheteur les moyens de preuve requis, « sa candidature est déclarée irrégulière et le candidat est éliminée ». Ce même article précise que, dans ce cas, lorsque la vérification des candidatures intervient « après la sélection des candidatures ou le classement des offres », le candidat suivant dans le classement est lui-même sollicité pour produire les documents en question.
Les dispositions du Code de la commande publique semblent dès lors très claires :
– les documents justifiant que l’opérateur ne rentre dans aucun des cas d’exclusion sont produits avant la décision d’attribution du marché, dès lors que l’acheteur a établi le classement des offres ;
– s’il ne produit pas ces documents dans le délai imposé par l’acheteur, sa candidature est éliminée.
Un temps contradictoire avec les dispositions de l’article 55 décret n° 2016-360 du 26 mars 2016 relatif aux marchés publics sur la question du timing de la production des documents (1), la doctrine de Bercy semble suivre désormais les dispositions du Code de la commande publique sur ce point (voir fiche « L’examen des candidatures » – Mise à jour le 1er avril 2019).
Pourtant, par sa décision n° 474464 du 26 octobre 2023, confortant il est vrai la pratique de certains acheteurs, le Conseil d’État sème un certain trouble juridique. En effet, il considère qu’il résulte des dispositions susvisées que « le candidat auquel il est envisagé d’attribuer le marché doit produire des documents attestant notamment qu’il est à jour de ses obligations fiscales et sociales avant la signature du marché. A défaut, son offre doit être rejetée, le candidat dont l’offre a été classée immédiatement après la sienne pouvant se voir attribuer le marché. »
En retenant comme date limite d’obtention des précieux sésames la date de signature du marché, le Conseil d’État juge que ceux-ci peuvent donc être produits après l’attribution du marché, notamment, par la commission d’appel d’offres pour certains des marchés conclus par les collectivités territoriales.
Cette décision s’inscrit en faux de la lettre même de l’article R.2144-7 du code, lequel prescrit l’obtention des documents auprès du candidat auquel il est envisagé d’attribuer le marché, soit avant l’attribution de celui-ci.
Par ailleurs, les articles L.2141-1 à L.2141-5 imposent d’exclure de la procédure de passation les opérateurs se trouvant dans un des cas d’exclusion. Or, dès lors que, comme l’affirme le Conseil d’État, les justificatifs probants peuvent être produits au plus tard avant la signature du marché, un opérateur qui ne serait pas en règle pourrait malgré tout se voir attribuer le marché alors que les dispositions susvisées imposent son exclusion de la procédure de passation. La décision d’attribution serait donc rétroactivement illégale et devrait ainsi être retirée, au plus tard dans les 4 mois dans la mesure où elle n’est pas créatrice de droit (article L.243-3 du Code des relations entre le public et l’administration), afin de pouvoir réattribuer le marché à l’opérateur suivant dans le classement. Le Conseil d’État semble n’avoir cure de cette conséquence.
La mansuétude du Conseil d’État ne s’arrête pas là. Dans l’affaire jugée, il relève que l’acheteur a pu s’assurer que l’opérateur retenu avait produit les justificatifs requis avant la signature du marché et vérifier qu’il était à jour de ses obligations. Dès lors, la circonstance que ces documents ont été produits au-delà du délai prescrit par le règlement de consultation est jugée sans incidence sur la régularité de la procédure. Le Conseil d’État prive ainsi de toute portée les dispositions de l’article R.2144-7 du Code.
L’approche chronologique retenue par le Conseil d’État soulève une autre interrogation. En effet, si ni le Code de la commande publique, ni les dispositions éventuelles du règlement de consultation imposent d’éliminer l’opérateur qui ne produit pas les justificatifs dans le délai pourtant prescrit, pourvu que l’acheteur les obtienne avant la signature du marché, pendant combien de temps ce dernier doit-il attendre que l’attributaire daigne les lui transmettre pour notifier les courriers de rejet, et faire courir le délai de standstill lorsqu’il est requis, puis signer le marché ?
Arnaud LATRECHE – 14/12/2023
(1) « […] Ainsi, sauf dans l’hypothèse des procédures restreintes précitées, les justificatifs prévus à l’article 51 du décret sont demandés a posteriori, une fois que le choix de l’attributaire du marché est fait. Cette vérification se fait donc après la saisine de la commission d’appel d’offres (CAO) pour ce qui concerne les marchés publics des collectivités territoriales dans la mesure où celle-ci est seule compétente pour désigner l’attributaire du contrat […] (Réponse à QE n° 26769 du 7 novembre 2017 du député Jean-Marc Zulesi).