Régularisation des offres : précisions sur la notion de “caractéristiques substantielles”

Le voile se lève peu à peu sur le contour des “caractéristiques substantielles” des offres, que l’article R.2152-2 du Code de la commande publique interdit de modifier à l’occasion d’une démarche de régularisation des offres initiée par l’acheteur.

Par son arrêt 22PA00120 du 5 juillet 2024, la cour administrative d’appel Paris précise que les caractéristiques substantielles d’une offre sont ses éléments déterminants pris en compte pour la comparer aux offres concurrentes, ajoutons, sur la base des critères et sous-critères définis par le règlement de consultation.

Dans l’affaire jugée, la cour considère que, consécutivement à un oubli de chiffrage de certaines prestations dans le prix initial, la régularisation de l’offre conduisant à une augmentation de 10,26 % de ce prix était une modification d’une caractéristique substantielle de l’offre.

On notera au passage que la tentative de rapprochement entre les notions de caractéristiques non substantielles de l’offre (susceptibles d’être modifiées à l’occasion d’une régularisation de l’offre) et de modifications non substantielles du marché (admises pendant son exécution) ne semble pas pertinente : une modification du montant du marché de + 10,26 % n’étant pas considérée d’emblée comme une modification substantielle (même si elle excède, de peu, le seuil des modifications de faibles montants admis pour les marchés publics de services).

Arnaud LATRECHE

L’indemnité d’imprévision : modalités de règlement et imputation budgétaire

Un règlement à part du solde du marché

L’indemnité d’imprévision, à laquelle l’entreprise peut prétendre dans le cadre de l’exécution d’un marché public, compense partiellement les charges extracontractuelles imprévisibles et excessives, que l’entreprise démontre avoir subies sans en être elle-même à l’origine.

Conséquence : le montant de l’indemnité d’imprévision n’a pas vocation à être inscrit dans le projet de décompte final de l’entreprise, ni dans le décompte général établi par l’acheteur. Elle est réglée en dehors du cadre de l’établissement du solde du marché, par l’intermédiaire d’une convention distincte de ce dernier (Réponse à QE n° 05195 de Arnaud Bazin, JO Sénat du 28/09/2023 – Réponse à QE n° 04406 de Laure Darcos, JO du Sénat du 07/09/2023).

Un financement par les crédits budgétaires de la section de fonctionnement

Dans la mesure où il s’agit d’une charge extracontractuelle compensant un préjudice, l’indemnité d’imprévision doit toujours être imputée sur la section de fonctionnement (OPEX) : peu importe que le marché en cause soit financé par des crédits de la section de fonctionnement ou de la section d’investissement (CAPEX).

Conséquence : les collectivités territoriales ne peuvent pas bénéficier du fond de compensation forfaitaire pour la TVA (FCTVA) à laquelle l’indemnité d’imprévision est malgré tout soumise selon la doctrine de la DAJ de Bercy et la doctrine fiscale (Bulletin officiel des finances publiques-Impôts, BOI-TVA-BASE-10-10-50 paragraphe 260 ).

Conclusion : la passation d’un avenant sur le fondement des circonstances imprévues (R.2194-5 du Code de la commande publique) est une piste à privilégier pour les achats d’investissement.

Arnaud LATRECHE – 03 octobre 2023

Transfert du marché à un tiers : la cession peut être effective même sans avenant !

Par un arrêt n° 21MA00636 du 5 juin 2023, la cour administrative d’appel Marseille rappelle que la cession du contrat produit ses effets dès que l’acheteur l’a acceptée expressément ou tacitement, peu importe qu’aucun avenant de transfert n’ait été signé à la suite de cet accord.

Dans l’affaire jugée, l’acheteur avait été informé de la substitution d’un tiers à son cocontractant initial et avait laissé ce tiers exécuter les prestations. Par ailleurs, l’assemblée délibérante de l’acheteur avait approuvé le projet d’avenant de cession du marché.
Selon la cour, ces circonstances traduisent l’accord de l’acheteur et rendent la cession du marché effective, même en l’absence d’avenant.

Le juge d’appel Marseillais avait déjà jugé dans ce sens. L’arrêt n° 17MA04935 du 29 juin 2020 énonce que ” faute d’avoir été autorisée ou avalisée par la collectivité publique contractante, la cession est réputée nulle et seul le cédant demeure contractuellement lié à l’administration. Cet aval peut cependant régulièrement résulter, eu égard aux liens entre le cédant et le cessionnaire, et sans qu’il soit alors besoin de le formaliser par une décision expresse ou par la signature d’un avenant, du comportement de la collectivité publique en cause, lorsqu’il manifeste sans ambiguïté qu’elle entend poursuivre l’exécution du marché avec la nouvelle entité.”

Ces décisions juridictionnelles permettent d’établir l’effectivité de la cession et « devraient » convaincre le comptable public d’accepter la mise en œuvre financière de cette cession (paiement au nouveau titulaire), même en l’absence d’avenant de transfert du marché.

Toutefois, l’absence de formalisme juridique que le juge administratif tolère lorsqu’il reconnaît ainsi la cession tacite du marché est susceptible de se heurter à la rigueur du formalisme comptable pesant sur l’exécution du marché. En effet, à défaut d’avenant et compte tenu de la liste des pièces justificatives des dépenses publiques (voir, notamment, l’annexe 1 du Code général des collectivités territoriales, point 1 de la rubrique “412212. Autres pièces générales, le cas échéant“), il n’est pas certain que le comptable public fasse preuve de la même mansuétude.

Le refus persistant du comptable public (fondé à tort sur l’absence formelle d’avenant) exposerait alors l’acheteur à un référé provision de la part du nouveau titulaire, dont il est plus que probable que l’issue lui serait favorable !

Arnaud LATRECHE – 08 août 2023

Modification non substantielle du CCTP : illustration

Par un arrêt du 8 novembre 2022 (n° 20PA03669), la CAA de Paris devait se prononcer sur la caractère substantiel ou non d’une modification du marché.

Relevons ce fait inhabituel, la société à l’origine du recours était le fournisseur pressenti avec lequel l’attributaire avait présenté son offre (la marque de ce fournisseur était mentionné comme référence dans le CCTP). Après notification du marché, l’entreprise titulaire avait finalement choisi un fournisseur concurrent.

La CAA de Paris a jugé que la mise en place d’une cuve ovoïde et non ronde, sans couvercle et dont le centre et le bas de l’ouverture se situent respectivement à 83 et 72 cm du sol au lieu des 90 cm prévus ne constituait pas une modification substantielle du marché.

En effet, pour la cour, ces modifications :

  • ne remettent pas en cause les conditions initiales de la mise en concurrence ;
  • ne modifient pas considérablement l’objet du marché ;
  • ne changent pas la nature globale du marché.

    Une question connexe peut se poser : si ces caractéristiques dérogatoires au CCTP avaient été proposées ab initio dans l’offre de l’entreprise, l’irrégularité de cette offre (induite par ces dérogations) aurait-elle pu être régularisée… ?

    Conditions de modification des clauses relatives aux prix : nouvelle circulaire !

    Tirant les enseignements de l’avis rendu le 15 septembre par l’assemblée générale du Conseil d’Etat, la Première ministre Elisabeth Borne a signé une nouvelle circulaire le 29 septembre 2022. Revenant pour partie sur certaines affirmations et consignes émanant de la circulaire du 30 mars 2022 prise par son prédécesseur Jean Castex, ce texte établit la nouvelle doctrine du Gouvernement quant aux possibilités et conditions de modification des clauses financières des marchés publics et concessions.

    Modification “sèche” des clauses financières : c’est possible !

    Il était attendu. Il n’a pas déçu. Saisi pour avis par la DAJ de Bercy en juin dernier afin de savoir, notamment, si le Code de la commande publique permettait, en cas de circonstances exceptionnelles, de modifier les clauses financières initiales du marché, le Conseil d’Etat répond sans hésitation par l’affirmative (avis du Conseil d’Etat du 15 septembre 2022).

    Certains de ceux qui, en toute bonne foi, percevaient le principe d’intangibilité des prix comme s’opposant à la modification des seules clauses financières (à l’instar de la position du Gouvernement) pourraient percevoir cet avis comme une remise en cause ou atténuation du principe d’intangibilité des prix, voire une évolution de la jurisprudence du Conseil d’Etat. Certains commentateurs se sont d’ores-et-déjà exprimés en ce sens.

    Le Code de la commande publique ne l’a jamais interdit…

    Nous pensons qu’il n’en est rien. Par cet avis, le Conseil d’Etat ne remet pas en cause le principe d’intangibilité des prix, il explique sa portée. Ce principe s’oppose certes à ce que l’une des parties seulement impose unilatéralement à l’autre une modification des conditions financières du marché. Mais il ne s’oppose pas à ce que les parties conviennent de modifier les clauses financières (prix, révision…) en respectant les conditions de modification des marchés posées par le Code de la commande publique. Ce code ne limite donc pas la nature des clauses du contrat susceptibles d’être modifiées.

    Extraits choisis de l’avis :

    “(…) il ne résulte pas des dispositions du code de la commande publique (…) que les modifications des marchés et des concessions qu’elles autorisent et encadrent ne peuvent porter que sur les caractéristiques ou les conditions d’exécution des prestations initialement convenues, et non sur les clauses financières (…), de sorte que serait prohibée une modification des seules clauses financières (modification “sèche” du prix)” (page 3).

    Afin de remédier à une situation résultant de circonstances imprévisibles, il est possible, en premier lieu, de modifier les marchés (…). (…) ces modifications peuvent concerner, sur le fondement des dispositions du code de la commande publique, sous réserve qu’elles ne changent pas la nature globale du contrat, tant les caractéristiques et conditions d’exécution des prestations que le prix ou les tarifs, leur montant ou les modalités de leur détermination, ou encore la durée initialement convenus. Les contrats peuvent aussi être modifiés afin d’y introduire une clause de variation de prix ou de réexamen si le contrat n’en contient pas, ou de faire évoluer une clause existante qui se serait révélée insuffisante” (page 7).

    Il est difficile d’être plus clair.

    …Ni davantage la jurisprudence

    Quant à la jurisprudence antérieure du Conseil d’Etat, elle permettait d’ores-et-déjà d’aboutir à cette conclusion. Cet avis n’est donc pas un revirement de la position du Conseil d’Etat au contentieux :

    Au demeurant, s’il ressort de la jurisprudence administrative qu’en principe les prix prévus et les autres clauses financières lient les parties, ce dont il se déduit que le cocontractant de l’administration n’a pas de droit à leur modification, des décisions du Conseil d’Etat statuant au contentieux (…) ont admis, dans des circonstances particulières, que le caractère définitif des prix stipulés ne s’oppose pas de manière absolue à leur modification” (page 4).

    Le Conseil d’Etat fait ainsi référence, notamment, à ses décisions “Société Area Impianti” validant la transformation d’un prix révisable en un prix ferme (CE, 20 décembre 2017, n° 408562) et “SHAM” admettant l’augmentation de la prime d’un marché d’assurance (CE, 16 mai 2022, n° 459408).

    Cet avis du Conseil d’Etat illustre avec force cette règle essentielle de notre droit : ce qui n’est pas interdit, est autorisé.

    Voir sur le même sujet, l’analyse de l’AAP réalisée préalablement à l’avis du Conseil d’Etat.

    Arnaud LATRECHE – 22 septembre 2022

    Quid de la portée du principe d’intangibilité des prix d’un marché public ?

    A l’heure où Bercy annonce qu’il va solliciter l’avis du Conseil d’Etat faute de jurisprudence sur la possibilité de modifier les clauses financières du marché en période de crise (notamment les prix), et dans l’attente de la position des Sages du Palais Royal, quel est l’état de la jurisprudence à ce jour sur ce sujet ? Eléments d’inventaire.

    Ce que les parties ont convenu, les parties peuvent le modifier…

    Un prix intangible engage le titulaire qui l’a proposé ainsi que l’acheteur qui l’a accepté. C’est alors qu’il revêt un caractère définitif, en principe, dès la conclusion du marché, ainsi que le rappelle l’article R.2112-7 du Code de la commande publique (CCP). Par conséquent, une des parties ne peut imposer unilatéralement une modification des prix du marché à son cocontractant sans son consentement. Il s’agit là d’une traduction de l’article 1103 du code civil en vertu duquel « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».

    Mais les parties qui ont établi leur loi contractuelle en signant le marché peuvent convenir de la défaire.

    Ainsi, il n’apparaît pas déraisonnable de considérer que le principe d’intangibilité des prix, et plus largement des clauses financières, n’interdit pas aux parties de se mettre d’accord pour les modifier provisoirement, lorsque la détérioration hors norme des conditions économiques pendant l’exécution des prestations remet en cause l’équilibre financier du marché, tel que celui-ci pouvait raisonnablement être anticipé par l’entreprise lors de la remise de son offre. Cette thèse n’est d’ailleurs pas nouvelle : « […] que les modifications conventionnelles, résultant de l’accord des parties elles-mêmes, ne contredisent pas le principe de l’irrévocabilité du prix [ce dernier s’opposant] seulement aux changements imposés à l’un des contractants contre son gré » (André De Laubadère, Franck Moderne, Pierre Delvolvé, Traité des contrats administratifs, t. 2, n° 1013 et s.). La faisabilité de cette modification du prix convenue entre les parties obéirait alors aux conditions posées par le CCP, notamment les articles R.2194-5 et R.2194-8.

    … sous le regard plutôt favorable du juge

    Il est possible de considérer que la jurisprudence du Conseil d’Etat met d’ores et déjà en exergue que les parties peuvent convenir d’écarter l’application des clauses contractuelles ou de les modifier, quelles qu’elles soient…

    Par sa décision « SHAM » du 16 mai 2022 (CE 16 mai 2022, Société hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM), n° 459408), le Conseil d’Etat a refusé de sanctionner un avenant à un marché d’assurance qui augmentait la prime versée par l’acheteur. A la lecture de cette décision et du jugement du tribunal administratif de Melun, il n’apparaît pas que cette augmentation de prime était liée à une quelconque modification de prestations ou une détérioration de la sinistralité de l’assuré. Le seul curseur pris en compte par le Conseil d’Etat dans cette affaire était le respect du seuil d’augmentation plafond de 10 %  prévu par l’article R.2194-8 du CCP : « Il résulte de l’avenant litigieux qu’il porte la prime d’assurance pour la seule année 2022 de 2,65% à 3,048% du budget, soit une augmentation de 74 610,60 euros hors taxes, ce qui représente une augmentation de 5,01% du montant total du marché sur les trois années d’exécution. Cette augmentation porte ainsi sur un montant inférieur au seuil de 215 000 euros hors taxes et inférieur à 10 % du montant total du marché. Dès lors, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que la SHAM n’est pas recevable à contester devant le juge du référé contractuel cet avenant en tant qu’il a modifié le prix du marché d’assurances initial »

    La décision « Société Area Impianti » du 20 décembre 2017 (CE 20 décembre 2017, Société Area Impianti, n° 408562) illustre que le Conseil d’Etat ne s’oppose pas à ce que les parties s’accordent sur un avenant transformant un prix révisable en un prix ferme, modifiant ainsi le mécanisme de variation des prix convenu initialement. Relevons toutefois que dans cette affaire, l’avenant en question est intervenu peu avant la fin du marché et qu’il était favorable à l’acheteur. Malgré tout, on peine à imaginer que le Conseil d’Etat aurait jugé autrement si l’avenant avait été favorable à l’entreprise : « que ces dispositions n’ont ni pour objet ni pour effet de faire par principe obstacle à ce que les parties à un marché conclu à prix définitif puissent convenir par avenant, en particulier lorsque l’exécution du marché approche de son terme, de modifier le mécanisme d’évolution du prix définitif pour passer d’un prix révisable à un prix ferme  […] que la cour a pu, sans erreur de droit, considérer que la modification des règles de détermination du prix initial ne constituait pas, par elle-même, un bouleversement de l’économie du marché ».

    Plus ancienne, la décision du 17 mars 2010 « commune d’Issy-les Moulineaux » (CE, 17 mars 2010, Commune d’Issy-les-Moulineaux, n° 308676), admet que les parties sont libres d’écarter l’application des clauses du marché, y compris sur la question pourtant sensible des pénalités de retard, élément essentiel des conditions initiales de la mise en concurrence : « Considérant qu’il est toujours loisible aux parties de s’accorder, même sans formaliser cet accord par un avenant, pour déroger aux stipulations du contrat initial, y compris en ce qui concerne les pénalités de retard ».

    Relevons également cet arrêt de la CAA du Douai du 26 avril 2022, par lequel le juge semble admettre en creux qu’un avenant pourrait modifier la clause de révision des prix : « qu’aucun avenant n’a par ailleurs été conclu pour déroger aux stipulations de l’article 3.4.4 du CCAP précité […] il ne résulte pas davantage de l’instruction que les parties aient entendu, même tacitement, modifier la clause de révision des prix telle qu’initialement fixée à la suite de la publication de l’avis Insee » (CAA Douai, 26 avril 2022, n° 20DA01405).

    Enfin, dès 1951, le Conseil d’Etat consacrait certes le caractère immuable des prix du marché, mais réservait expressément l’hypothèse d’une sujétion imprévue : « Cons. que l’argument […] ne saurait justifier la modification des prix portés au marché conclu entre l’Algérie et le sieur Didonna, prix qui, en l’absence d’une sujétion imprévisible non démontrée en l’espèce, sont immuables et lient les parties » (CE 9 mars 1951, Sieur Didonna, n° 86405). Relevons également que dans cette affaire le titulaire du marché souhaitait une revalorisation des prix du marché, ce que refusait l’administration cocontractante.

    Pour conclure, une analogie semble permise avec le principe d’intangibilité du décompte général définitif du marché, principe qui n’interdit pas que les parties puissent modifier ce décompte d’un commun accord et renoncent ainsi à s’opposer mutuellement son intangibilité (CE 13 juillet 1961, Compagnie havraise de navigation à vapeur, Lebon p. 490 – CAA Lyon 4 juillet 2013, société BRB Construction, n° 12LY02398).

    Arnaud LATRECHE – 06/07/2022

    Intangibilité de la formule de révision des prix : un dogme de plus en plus démenti ?

    Crédit photo Esoxiste.com

    Relayé par le site achatpublic.info dans sa brève du 11 mai, un récent arrêt de la cour administrative d’appel de Douai apporte un nouvel élément de réponse à la question de savoir si les clauses financières d’un marché peuvent être modifiées par les parties (CAA Douai, 26 avril 2022, n° 20DA01405).

    Dans cette affaire, le changement de base de l’indice TP09 en cours de marché était au cœur du débat contentieux. En effet, la nouvelle base 2010 a modifié la pondération respective des indices composant cet index. La part de l’indice bitume, inclus dans le poste « matériaux », est ainsi passée de 26 à 35 %. Par conséquent, la baisse de l’indice du bitume pendant l’exécution des travaux a majoré le montant de la révision négative des prix.

    Relevant que le marché se contentait de faire référence à l’index TP09 sans mentionner la base retenue pour l’application de la clause de révision, la cour a jugé que la commune intention des parties n’était pas d’exclure l’application du TP09 en cas de modification de la pondération des indices le composant.

    Le juge d’appel ajoute, ce qui mérite particulièrement notre intérêt : « Il est constant qu’aucun avenant n’a par ailleurs été conclu pour déroger aux stipulations de l’article 3.4.4 du CCAP précité. Il ne résulte pas davantage de l’instruction que les parties aient entendu, même tacitement, modifier la clause de révision des prix telle qu’initialement fixée à la suite de la publication de l’avis INSEE ».

    Précisons que l’article 3.4.4 du CCAP en cause définissait la clause de révision.

    Ainsi, selon la cour administrative d’appel de Douai, il n’est pas exclu que les parties au marché puissent convenir d’amender les modalités de révision des prix convenues initialement dans le contrat, lorsqu’une circonstance nouvelle remet en cause l’équilibre contractuel.

    Si l’on transpose cet arrêt dans le cadre du droit positif, les ajustements en question de la clause de révision devraient certes s’inscrire dans l’un des cas au titre desquels le code de la commande publique autorise la modification du marché.

    Ainsi, pour ce qui concerne les contrats en cours, en cette période de bouleversement des conditions économiques dans lesquelles certains marchés s’exécutent, les articles R.2194-5 et R.2194-8 du code de la commande publique semblent pouvoir être mobilisés à cette fin : les dispositions de ces articles ne limitent pas la nature des clauses du marché susceptibles d’être modifiées.

    Arnaud LATRECHE

    Intangibilité des prix en période de crise : état du droit ou croyance ?

    La doctrine du Ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance est sans équivoque :

    • Ainsi, en l’absence de clause de révision de prix ou de réexamen, une modification du prix porterait atteinte aux conditions de la mise en concurrence (CE, 15 février 1957, Etablissement Dickson)” (Fiche technique – Les marchés publics confrontés à la flambée des prix et au risque de pénurie des matières premières – 18/02/2022 – page 4).
    • En raison du caractère en principe intangible du prix contractualisé, une clause de révision ne peut être ni modifiée ni introduite en cours d’exécution du marché (CE 15 février 1957, Etablissement Dickson) si le contrat n’en a pas expressément prévu la possibilité et les modalités par une clause de réexamen (article R. 2194-1 et 1° de l’article R. 2194-6 du code de la commande publique)” (Réponse à QE n° 40503 du 03/08/2021).
    • Le prix contractualisé est intangible, ainsi que les conditions de son évolution prévue à la signature du contrat, et aucune des parties au contrat ne peut les modifier (CE, 9 mars 1951, Didona (sic)) (Fiche Le prix dans les marchés publics – Guide et recommandations, avril 2013,page 66).

    Pourtant, la lecture des décisions Etablissement Dickson et Didonna susvisées semble révéler une portée différente de celle avancée par Bercy.

    Quelle est la décision du Conseil d’Etat dans ces deux affaires ?

    • ” (…) la circonstance que les formules susmentionnées de révision des prix n’auraient pas assuré une exacte compensation des augmentations des charges supportées par le fournisseur n’est pas de nature à ouvrir à ce dernier un droit à indemnité, en l’absence de bouleversement de l’économies des marchés (…)” (CE, 15 février 1957, Etablissement Dickson, n° 14891)
    • ” (…) la circonstance [que des travaux semblables aient été payés à un prix supérieur] ne saurait justifier la modification des prix portés au marché conclu entre l’Algérie et le sieur Didonna, prix qui, en l’absence d’une sujétion imprévisible non démontrée en l’espèce, sont immuables et lient les parties” (CE, 9 mars 1951, Sieur Didonna, n° 86.405, rec. Lebon p. 148).

    Des sujétions imprévisibles permettraient ainsi de déroger au principe de l’intangibilité des prix.

    Au-delà du droit à indemnisation qu’ouvre la théorie de l’imprévision, et sous réserve de jurisprudences contraires (dont l’AAP serait preneuse…), notre logiciel de pensées concernant la question de l’intangibilité des prix en période de crise mériterait peut-être une update.

    Arnaud LATRECHE – 31 mars 2022

    Respect des principes républicains par les prestataires de services publics

    La loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a été publiée au JO du 25 août 2021.

    En vertu de l’article 1 de cette loi, lorsqu’un contrat de la commande publique confie à son titulaire tout ou partie de l’exécution d’un service public, ce dernier est tenu de respecter les principes d’égalité des usagers, de laïcité et de neutralité.

    A ce titre, lorsque ceux-ci sont affectés à l’exécution du service public, le titulaire doit veiller à ce que ses salariés, toutes personnes sur lesquelles il exerce un autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, mais également toute personne à laquelle il confie une partie de l’exécution du service public concerné (sous-traitants ou sous-concessionnaires) :

    • s’abstiennent de manifester leurs opinions politiques ou religieuses ;
    • traitent de façon égale toutes les personnes ;
    • respectent leur liberté de conscience et leur dignité.

    Les contrats doivent comporter des clauses rappelant aux titulaires ces obligations, et qui définissent les moyens de contrôle et les sanctions en cas de manquements.

    Le titulaire doit également communiquer à l’acheteur les contrats de sous-traitance ou de sous-concessions dont l’objet est de confier une partie de la mission de service public.

    L’obligation de prévoir les clauses susvisées s’appliquent aux contrats mis en consultation à compter du 25 août 2021.

    Les contrats en cours au 25 août 2021 devront être mis en conformité : leur modification devra intervenir au plus tard le 24 août 2022 afin d’inclure les clauses en question.

    Toutefois, les contrats en cours arrivant à échéance avant le 25 février 2023 ne sont pas soumis à cette obligation de mise en conformité.

    Le CCAG applicable aux marchés publics de fournitures courantes et services pourrait utilement être complété par une clause type en ce sens…

    Arnaud LATRECHE

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