Conditions de dispense de mise en concurrence en cas de protection de droits d’exclusivité : l’exclusivité ne doit pas être imputable à l’acheteur !

Par son arrêt du 9 janvier 2025, aff. C-578/23, la Cour de justice de l’Union européenne interprète de manière restrictive les conditions définies par l’article 31, point 1, sous b) de la directive 2004/18/CE du 31 mars 2004 permettant aux acheteurs publics de conclure un marché négocié sans publication préalable pour des raisons tenant à la protection de droit d’exclusivité,

Cette faculté, aujourd’hui prévue par l’article 32, point 2, sous b) de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014, est transposée à l’article R.2122-3 du code de la commande publique.

La CJUE rappelle le caractère exceptionnel de la procédure négociée sans publication préalable, par rapport aux procédures ouvertes ou restreintes, et que l’acheteur “est tenu de faire tout ce qui est susceptible d’être raisonnablement attendu de lui pour éviter l’application de l’article 31, point 1, sous b) de la directive 2004/18, et ce afin de recourir à une procédure plus ouverte à la concurrence“.

En d’autres termes, lorsque l’acheteur dispose “de moyens réels et raisonnables du point de vue économique pour mettre fin à une telle situation [d’exclusivité]”, il ne saurait se prévaloir des dispositions susvisées.

Par conséquent, par analogie avec le motif de l’urgence impérieuse, lequel permet également une dispense de publicité mais sous réserve que les circonstances mises en avant par l’acheteur pour établir cette urgence ne lui soient pas imputables, la CJUE pose les conditions cumulatives suivantes pour recourir à la procédure négociée sans publication préalable afin de protéger des droits d’exclusivité au sens de l’article 31, point 1, sous b) de la directive 2004/18/CE :

  • Justification de l’existence de droits d’exclusivité protégés,
  • Non imputables au comportement de l’acheteur, compte tenu des circonstances de fait et de droit l’ayant conduit à la passation d’un premier marché et de celles révélées entre l’attribution de ce premier contrat et la date à laquelle l’acheteur décide de conclure un nouveau marché sans publication préalable,
  • Imposant d’attribuer le marché envisagé à un opérateur déterminé.

Selon toute vraisemblance, il convient donc d’adjoindre cette condition de non imputabilité à l’acheteur au droit positif, dont peut déceler une amorce imparfaite dans la formulation du dernier alinéa de l’article 32, point 2, sous b) de la directive 2014/24/UE (1) et le dernier alinéa de l’article R.2122-3 du CCP (2).

Arnaud LATRECHE – 13 janvier 2025

    (1) “Les exceptions indiquées aux points ii) et iii) ne s’appliquent que lorsqu’il n’existe aucune solution alternative ou de remplacement raisonnable et que l’absence de concurrence ne résulte pas d’une restriction artificielle des paramètres du marché“.

    (2) “Le recours à un opérateur déterminé dans les cas mentionnés aux 2°et 3° n’est justifié que lorsqu’il n’existe aucune solution de remplacement raisonnable et que l’absence de concurrence ne résulte pas d’une restriction artificielle des caractéristiques du marché“.

    La « procédure des 3 devis » : un MAPA qui porte mal son nom !

    Rappel de la règle

    En dessous des seuils de dispense de mise en concurrence (1), les acheteurs doivent choisir leurs prestataires en respectant trois obligations :

    • Choisir une offre pertinente ;
    • Faire une bonne utilisation des deniers publics ;
    • Ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu’il existe une pluralité d’offres susceptibles de répondre au besoin.

    Trois obligations que les acheteurs pratiquent depuis plusieurs décennies et qui, à l’époque, ont donné naissance à la célèbre « procédure des 3 devis » : en dessous des seuils, les acheteurs avaient pour coutume de solliciter un devis auprès de trois prestataires potentiels et de contractualiser avec le fournisseur le moins cher.

    Pratique qui a tendance à persister après la réforme de 2016, qui a pourtant rebattu les cartes en la matière. L’article R. 2122-8 du code de la commande publique précise en effet que les achats en dessous des seuils de dispense relèvent de la procédure de marché sans publicité ni mise en concurrence préalable.

    Cette nouvelle classification juridique implique que les acheteurs ne sont pas censés procéder à une mise en concurrence formelle.

    L’affaire

    Le Tribunal Administratif de Strasbourg a récemment souligné que solliciter plusieurs prestataires pour un achat inférieur au seuil de dispense s’apparente à une procédure adaptée et que l’article R.2152-7 du code de la commande publique s’applique (TA de Strasbourg, 2ème chambre, 16 mai 2024, n° 2108389).

    Demander trois devis revient donc à organiser une procédure adaptée impliquant, notamment, les obligations suivantes pour l’acheteur :

    • Communiquer en amont les critères de sélection des offres et le contenu des offres attendues ;
    • Préciser si l’acheteur se réserve la faculté de négocier ;
    • Limiter la possibilité de recourir au critère unique de prix aux produits standardisés ;
    • Informer les candidats du rejet de leur offre.

    Si, en l’espèce, le juge n’a finalement pas annulé le contrat passé entre l’acheteur et son fournisseur, en raison du faible montant de cette prestation (2 598  € HT), le risque contentieux existe malgré tout.

    Conseils de l’AAP

    Si un acheteur ne s’estime pas en mesure de contractualiser directement avec un prestataire déjà identifié (sur le fondement de l’article R. 2122-8 du code de la commande publique), il devra :

    • soit engager une démarche préalable de sourcing et contractualiser par la suite avec l’un des prestataires identifié sans mise en concurrence préalable (R. 2122-8) ;
    • soit organiser consciemment une procédure adaptée en respectant toutes les règles que cela implique.

    Yannick TISSIER-FERRER

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