eForms : tout ça pour ça ?
Les avis de publicité sont morts, vive les eForms !
C’est dans une relative indifférence que les nouveaux modèles d’avis de publicité européens, les fameux eForms, sont entrés en vigueur le 31 janvier dernier. Mais de l’indifférence, les acheteurs publics sont rapidement passés à la panique, avant de devoir, une fois de plus, faire preuve d’ingéniosité et d’agilité. Retour sur les trois premiers mois d’utilisation de ces nouveaux modèles.
Issus d’un règlement européen de 2019 (2019/1780/UE), ces nouveaux modèles obligatoires pour la publication d’un avis de publicité au JOUE avaient tout pour séduire, si l’on se fie à la notice publiée par la Direction des Affaires Juridiques du Ministère de l’Economie et des Finances :
- Améliorer la saisie en ligne et la transmission à l’office des publications ;
- Réduire la charge administrative et améliorer la fiabilité des données ;
- Faciliter l’automatisation des remplissages lorsque l’information a déjà été transmise.
Ne tenions-nous pas ici une vraie simplification à l’attention des acheteurs publics ?
Dire que la réalité n’a pas atteint ces louables objectifs est un euphémisme. Nous sommes plutôt à l’opposé. Le passage aux eForms a conduit à une paralysie totale des avis de publicité européen.
Modules de rédaction inachevés ou incompréhensibles, code erreurs énigmatiques, champs excessifs et … silence des institutions en charge des publications. Ou plutôt, saturation de ces institutions qui ont croulé sous les appels et messages des acheteurs et des éditeurs de profils d’acheteurs.
Mais la mise en place de ces nouveaux formulaires n’aura pas éprouvé que les acheteurs. « C’est un sujet douloureux, y compris pour la DAJ. Tout le monde n’a pas été au rendez-vous, y compris l’Etat. Il y a une responsabilité de la part de la Commission qui n’a pas stabilisé les données » a déclaré Laure BEDIER, Directrice des Affaires Juridiques des ministères économiques et financiers[1], interrogée par nos soins lors d’une conférence en mars dernier.
Encore aujourd’hui, de nombreux acheteurs signalent des difficultés à adresser leurs avis de publicité, une incompréhension de certains codes erreurs ou intitulés de champs à remplir, des infos démultipliés pour les lots, et un temps de remplissage plus long que pour les anciens formulaires. La réduction de la charge administrative ne semble concerner que très peu, voire pas du tout, d’acheteurs.
Malgré tout, quels enseignements pouvons-nous tirer de cette expérience ?
[1] Laure BEDIER quitte la Direction des affaires juridiques de Bercy. Clémence OLSINA a été nommée à sa succession en Conseil des ministres ce 3 mai et prendra ses fonctions le 13 mai.
1 – Une fois de plus, l’acheteur public aura usé de sa capacité d’adaptation, de débrouillardise même.
En 2024, aussi basique que cela puisse paraître, le premier défi qu’aura dû surmonter l’acheteur public aura été de réussir à publier un appel d’offres.
Jour après jour, c’est bien la capacité d’adaptation qui devient la première des compétences à maitriser par les acheteurs.
La capacité des acheteurs à réseauter, à partager les informations et astuces entre pairs ou à réfléchir ensemble pour trouver une solution commune revêt également une nouvelle dimension. Les échanges permettent de se sentir moins seul face à des situations imprévues et de trouver plus rapidement des solutions.
2 – Est-ce le début de la fin des avis de publicité ?
« Tout ça pour ça ? » nous diriez-vous ?
Le constat est sans appel : l’avis de publicité est encore plus volumineux et plus illisible qu’avant. Dans sa volonté de transparence et d’Open Data, il semble que l’Union Européenne ait perdu de vue l’essentiel : trop d’information tue l’information. A trop en mettre, on ne répond plus à la fonction principale : informer les candidats potentiels du lancement d’une consultation qui peut les intéresser.
Plus encore, l’avis de publicité n’est-il pas anachronique ?
Les DCE sont très facilement accessibles pour les entreprises, en quelques clics, et de nombreuses alertes et méthodes de recherches permettent aux entreprises d’identifier des marchés potentiels sans avoir à lire en détail les avis de publicité.
Sans compter que la forme et la structure des avis de publicité ne donnent guère envie d’être lues : bien que perfectibles, le contenu d’un DCE reste plus lisible qu’un avis de publicité.
N’aurait-il pas été plus pertinent de repenser la fonction première d’un avis de publicité, de l’adapter aux usages actuels, de l’alléger drastiquement, voire même de le supprimer ?
3 – La simplification attendue ne pourra venir que des acheteurs publics eux-mêmes
Enfin, notons une nouvelle fois que la simplification, côté acheteurs publics, se fait toujours attendre.
Ni les eForms, ni les dernières annonces gouvernementales sur la simplification de la commande publique ne laissent entrevoir des réelles avancées.
Et si la simplification venait des acheteurs publics eux-mêmes ?
Des initiatives pour rendre la commande publique plus accessible existent et paraissent prometteuses : hotline pour les entreprises, règlement de consultation en legal design, allègement des dossiers de candidatures, communication autour de la « marque acheteur », …
Mais la diversité des pratiques et le nombre d’acheteurs publics diluent ces efforts et participent à l’apparente complexité de la matière.
Si l’uniformisation et la simplification des pratiques ne découlent pas d’une réforme de la réglementation, pourrait-elle émerger des réseaux d’acheteurs ?
Yannick Tissier Ferrer, expert et membre du CA de l’AAP – 1er mai 2024